Lettres du chanoine René Dallennes, directeur d'un établissement d'enseignement catholique à Cambrai, qu'il adresse à son beau-frère Charles Derousseaux habitant Sainghin-en-Weppes près de Lille.

Cambrai, le 30 avril 1944.

Bien cher Charles,

J'espère que vous avez reçu ma lettre envoyée de Cambrai jeudi matin par Douai - et aussi le coup de téléphone que je vous ai fait donner d'Arras même hier samedi pour vous rassurer sur mon sort - les journaux ayant publié la nouvelle du bombardement de Cambrai.

Voici ce qui s'est passé : jeudi soir vers 6 h 45 des bombardiers américains vinrent au-dessus de la ville.

Une première vague visa la gare-Ville et l’atteignit en plein. De même une 2de vague. Les voies de garage furent complètement labourées ; les wagons à quai incendiés - ils brûlent encore.

Le dépôt des locomotives où se trouvaient une dizaine de machines fut atteint et détruit partiellement.

C'était l'heure du Dijonnais du soir ; des voyageurs se trouvaient en gare, mais heureusement, il y eut peu de victime parmi eux. En revanche, les vagues suivantes furent moins heureuses et la 3ème, surtout, éparpilla

ses bombes sur le quartier de l'Immaculée Conception, Saint-Roch et Escaudœuvres. Ce fut un vrai carnage.

Nous étions descendus après la 1re vague aux tranchées - abris creusés par les Allemands sous le jardin et M. le Supérieur nous avait donné l'absolution.

Après la 2e vague, il y eut une assez longue accalmie. Croyant que c'était fini, je suis sorti avec plusieurs de mes confrères et élèves pour secourir les blessés et mourants.
C'est alors que nous avons été pris dans la 3ème et 4e rafale. C'était effroyable les bombes pleuvaient de tous côtés.

Une dame avec une voiturette et un bébé errait affolée sur le Pont de Solesmes, ne sachant où aller. Nous la prîmes avec nous nous étendîmes sur un talus derrière la fabrique à glace qui surmonte le pont.

Il était temps : une énorme bombe qui enleva toute une maison et fit un entonnoir de 7 m de profondeur sur 9 - 10 mètres de circonférence, tomba à moins de 20 m de nous.

J'ai su le lendemain qu'une autre était tombée plus près encore, mais n’avait pas éclaté. Des projectiles de tout genre retombaient autour de nous : cailloux, grès, briques, terre.

Un de mes élèves fut touché à la jambe, mais sans gravité. J'avais eu le temps de donnes l'absolution in extrémis à tous mes compagnons.

Quand nous nous relevâmes l'attaque avait cessé et on sonnait la fin de l'alerte. Le spectacle qui s'offrait à nous était désolant = maisons effondrées ou soufflées - entonnoirs lunaires de 5 - 6 et 7 mètres - des blessés et des morts partout.

Les premiers que je relevais, ce furent le père et mère d'un jeune prêtre du quartier, prisonnier depuis 4 ans - tués dans leur tranchée avec 3 voisins.

Toute la soirée et la nuit suivante furent employées au déblaiement des victimes - tâche longue, dure et ingrate, mais nos élèves eurent la consolation de sauver bien des vies humaines.

Aujourd'hui, dimanche, nous avons eu une nouvelle attaque - moins violente que la 1re, mais qui fit encore une vingtaine de victimes. Elle dura plus d'une heure.

Au total : plus de 150 victimes jusqu'à cette heure ; car bien des corps restent sous les décombres. Ce matin lundi 1er mai : funérailles

sommaire des victimes. Alertes continuelles avec violents bombardements dans toute la région : Douai - Busigny où un train de voyageurs à été bombardé, coupé et partiellement incendié - Somain surtout , littéralement pilonné - Arras encore, me dit-on, etc.

Pendant les funérailles une escadrille qui passait a laissé tombé une gerbe de fleurs. Évidemment, les communications sont partout interrompues, je ne sais quand cette lettre vous parviendra : nous a fait prévoir une action imminente et de très grandes envergures.

Nos élèves ont été licenciés ; mais la maison doit être gardée. Mon devoir est de rester ici avec M. le Supérieur. Tranquillisez-vous : je vais désormais passer la nuit en ville à l'archevêché. Il y a d’ailleurs ici de bons abris.

À la grâce de Dieu ! Je vous quitte, car j'ai beaucoup de travail aujourd'hui pour déménager une partie de la bibliothèque et de la sacristie - Au revoir. Je vous embrasse tous.

René

Lettres du chanoine René Dallennes, directeur d'un établissement d'enseignement catholique à Cambrai, qu'il adresse à son beau-frère Charles Derousseaux habitant Sainghin-en-Weppes près de Lille.

Cambrai, le 09 mai 1944.

Bien cher Charles,

Cambrai a subi dimanche soir son 5e bombardement. L'hypothèse nos avions fuite en voyant revenir 6 escadrilles de bi-moteurs de cette direction, était bien fondée.

C’est en effet à cette même heure qu'avait lieu le bombardement.

Cette fois, ils ont atteint l'hospice des vieillards (ancien Petit Séminaire), la bibliothèque municipale et les rues avoisinants rue Aubenche - Rue Gambetta - Rue de la madeleine et place au Bois. La brasserie Duverger et l'hospice général ont été incendiés par les bombes à retardement.

Ils brûlent encore. Malheureusement, une grande partie du personnel est restée emmurée

dans la cave et il a été impossible de les dégager à cause des bombes qui éclataient durant toute la journée de lundi et de l'incendie qui faisait rage.

On désespère de les sauver : il y aurait là une quarantaine de personnes, dont plusieurs religieuses emmurées de Rosendael (enfant Jésus). Le chiffre total des victimes dépasserait donc de beaucoup... 200.

Je suis toujours au collège Notre Dame... En attendant sans doute une autre affectation ; car nous allons essayer de rassembler nos élèves par petits groupes dans les différents arrondissements.

La ville de Cambrai se vide littéralement : 15 à 20.000 personnes sont déjà parties. Le dernier bombardement a précipité les exodes. J'ai dit ce matin la messe chez les Clarisses. Dites aux Milleville que leur tante est en bonne santé. Je vous embrasse tous.

René